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LE PRIX NOBEL DE LA PAIX Á LA TUNISIE COMPRENDRE CE PRIX NOBEL 2015

LE PRIX NOBEL DE LA PAIX Á LA TUNISIE

COMPRENDRE CE PRIX NOBEL 2015

Michel Lhomme
le 22/10/2015
modifié le 22/10/2015 à 17:49h
En toute logique, on s’attendait à Angela Merkel et pour nous tous , cela aurait dû être Vladimir Poutine mais, à la surprise générale, ce fut un petit pays, la Tunisie, un quartet démocratique quasi inconnu qui fut lauréat du prix Nobel de la paix 2015. Cela étonna tout le monde.

Le Prix fut attribué cette année aux représentants de quatre organisations démocratiques de la société civile tunisienne : le syndicat UGTT, la fédération patronale Utica, l’Ordre national des avocats et la Ligue tunisienne des droits de l’homme. De leur propre aveu, aucun ne s’attendait en cette matinée du 9 octobre à l’annonce du comité norvégien. « Un événement historique, a souligné maître Monia Al-Abed, de l’ordre des avocats, la grande surprise qui a couronné cinq années de labeur et de lutte pour le peuple tunisien. » La Tunisie était donc honorée alors que le 18 mars dernier, le Musée national du Bardo, à Tunis avait été touché par un très violent attentat terroriste où deux djihadistes tunisiens tuèrent 22 personnes dont 21 touristes.

Pourquoi un petit pays, si peu important dans la politique internationale et même régionale comme la Tunisie est-il devenu en une seule année la cible favorite de l’ISIS et l’objet par ricochets de toutes les attentions du monde ? La relation de la Tunisie avec l’ISIS (Etat Islamique de Syrie et d’Irak dans son sigle anglais, Daesh pour les Français) est paradoxale. Mais pour le comprendre, il faut revenir au point de départ : la Tunisie fut le pays où commencèrent les révoltes dites du « printemps arabe », ces rébellions contre les dictatures qui prévalaient alors et prévalent toujours dans la plupart des pays arabes. L’instabilité politique et la violence que certaines de ces révoltes ont engendré en Égypte, en Syrie, au Yémen et en Libye, a créé ou a été plus tard le terrain fertile sur lequel l’ISIS s’est formé puis a très vite pêché en eaux troubles. L’Égypte qui vient de voter y échappa en résolvant l’après Moubarak par la dictature militaire du général pro-américain Al Sissi mais en n’évitant pas pour autant les nombreux attentats, en particulier dans le Sinaï. En même temps, la Tunisie est le seul de tous les pays des « révoltes arabes » où le renversement de la dictature, celle de Ben Ali qui vient d’ailleurs de demander de rentrer au pays pour y être jugé publiquement a conduit à une transition pacifique et consensuelle, à une démocratie représentative, autrement dit à un régime politique fondé sur le principe de la souveraineté populaire, tandis que l’ISIS défend et propage au contraire, avec le califat une souveraineté divine, une théologie politique fondée sur la charia comme principe directeur de gouvernement des sujets musulmans selon les propos mêmes de son chef et sultan, Abou Bakr al-Baghdadi.

La transition tunisienne a donc accouché – fait unique dans l’histoire récente des pays arabes – d’une constitution. Elle représente par principe un anathème et un blasphème pour l’ISIS. D’une part, parce qu’est reconnue dans cette constitution l’idée de l’interprétation à savoir que c’est dans et par l’interprétation que les diverses autorités religieuses peuvent émettre des divergences sur les implications juridiques des textes sacrés (la charia) dans le jugement et l’application de la loi et que d’autre part, les textes sacrés ne sauraient constituer en eux-mêmes une source de droit. Ainsi, la nouvelle constitution tunisienne reconnaît et établit non seulement l’autonomie de l’autorité politique sur les autorités religieuses, mais aussi l’autonomie de ces dernières par rapport au pouvoir politique. Elle réaffirme en principe le vieux postulat des anciens nationalismes arabes laïques (Nasser, Saddam Hussein et Bachar el Assad) d’une séparation du religieux et du politique mais départi de l’autoritarisme militaire de ces derniers régimes. Le cas tunisien est tout à fait singulier. Il ne nie pas que l’interprétation habituelle des autorités religieuses peut être une source de droit mais il ne la fonde pas politiquement. Par là, la constitution tunisienne n’établit pas d’autorités religieuses officielles et transforme même le point de vue absolu des religieux en un simple point de vue relatif du droit, sapant pour ainsi dire la légitimité même de la parole juridique du croyant. La particularité du cas tunisien est donc une décision assez unique dans le monde arabe de vouloir déconnecter, voire de supprimer le droit de l’exégèse théologique. Or, cette nouveauté et cette originalité furent possible par le vote de la principale force politique d’inspiration islamiste de Tunisie, le parti Enahda qui disposait en effet au moment du vote du 26 janvier 2014, de 40 % des sièges.

tunesieconstitution

De plus, la constitution tunisienne ne s’est pas arrêté là et a posé aussi un certain nombre de garde-fous. Sachant et prévoyant peut-être qu’au nom de la souveraineté populaire, une majorité électorale (par exemple islamiste) pourrait très bien être invoquée pour violer les droits des individus, le quartet a veillé dans la rédaction du texte à ce que les droits des individus soient en permanence garantis par la Constitution tunisienne. Ainsi, la Constitution garantit non seulement la liberté de religion mais aussi la liberté de conscience et de croyance. Autrement dit, une personne peut changer de religion à volonté, ou tout simplement ne pas tenir compte de toute croyance religieuse, être donc par exemple athée voire pourquoi pas polythéiste. Or, cette question du changement de religion (la conversion au christianisme) ou pire de la possibilité dans une société musulmane de l’athéisme est une question toujours très controversée pour ne pas dire tabou dans la législation des pays arabes. Outre que la Constitution tunisienne établit cette liberté religieuse et de conscience, elle pose aussi la pleine égalité des droits entre les hommes et les femmes et comme garantie de tout ce qui précède, la nouvelle Constitution tunisienne établit la primauté des conventions internationales sur les droits de l’homme signés par le pays sur le droit national (Préambule de la Constitution).

Pour les fondamentalistes, il est donc clair que la Tunisie a rejoint le camp des impies. Du coup, le Prix Nobel qui vient de lui être décerné ne risque pas d’arranger ses affaires dans le camp islamiste car ce que l’ISIS semble craindre avant toute chose, c’est une consolidation possible de ce modèle qui est essentiellement un modèle de démocratie laïque à l’occidentale dans un pays à grande majorité musulmane, qui compte en plus au pouvoir la participation d’un parti comme Enahda qui prétend être islamiste. Or, par comparaison, la Turquie d’Erdogan n’a pas du tout, par exemple, le même modèle. Le modèle tunisien opère bien une transformation qui pourrait nous amener à parler en politique de « post-islamisme » comme on parle de post-modernité ou de sécularisation avec l’évolution de la démocratie chrétienne européenne, qui dans la période de l’après-guerre a cessé progressivement d’être une force politique associée au Vatican, pour ne devenir qu’un parti laïc d’inspiration chrétienne. Avec la Tunisie, l’Islam politique serait donc derrière nous comme la démocratie chrétienne qui n’est finalement plus qu’une belle idée appartenant au passé.

C’est là que nous saisissons encore plus le double jeu géopolitique dévastateur de la Turquie, présente en Libye dans un soutien effectif aux djihadistes de Tripoli et principal appui de Daesh en Syrie. Or, la Turquie est membre de l’Otan, elle cherche à entrer dans l’Union européenne et très ouvertement maintenant à exporter clairement son modèle islamiste (et non post-islamiste) dans l’Islam de France, de Belgique ou d’Allemagne, en somme à toute l’Europe.

Les États-Unis et l’Union européenne ont refusé très longtemps de soutenir sans aucune réflexion le PKK et le YPG les considérant, en adoptant la position turque, comme des groupes terroristes. Mais tandis que le gouvernement turc n’a fait que tricher en Syrie, armant les pires (Daesh) avec des conteneurs venus directement des USA, les États-Unis comme la France ont préféré entraver l’avancement des milices kurdes en ne bombardant qu’à la marge les positions de l’ISIS. Soutenir donc Erdogan, répondre comme le fait actuellement l’Europe, Berlin en tête (au fait, en Allemagne combien de Turcs ?) au chantage turc est non seulement une politique suicidaire mais une politique criminelle. C’est de plus nier et attaquer de front l’idée même d’un post-islamisme sunnite incarné à la fois par les démocrates laïcs et islamistes tunisiens et les gauchistes laïcs du YPG et du PKK.

On pourrait dés lors se demander pourquoi nos conseillers diplomatiques ou stratégiques sont-ils aussi néfastes ? Tout simplement parce qu’ils ne sortent pas de visions réductrices sur l’Islam et le Moyen-Orient où tout se ramènerait en somme chez eux au clivage sunnite / chiite et où à partir de ce clivage, tout prendrait soudainement un sens. En réalité, ce n’est pas le clivage en jeu de l’Islam contemporain. Un autre clivage traverse l’Islam aussi bien chiite que sunnite, c’est celui de la sécularisation de l’Islam ou celui du maintien de sa théologie politique. Or, en s’engageant dans la paresse intellectuelle, on se condamne forcément à ne rien comprendre aux mouvements historiques et dans une telle posture de paresse intellectuelle, il ne faut pas alors se plaindre de croire que la politique internationale semble inintelligible ou vire au chantage, un chantage qui avec Ankara porte sur des millions de réfugiés, plus précisément trois milliards d’euros alors que la Turquie en avait déjà reçu six milliards en 2010, un chantage de 800 000 sans papiers avec une taxe pour les migrants dans la ligne de mire de nos prochains impôts.

bron/source: http://metamag.fr/metamag-3289-LE-PRIX-NOBEL-DE-LA-PAIX-Á-LA-TUNISIE-COMPRENDRE-CE-PRIX-NOBEL-2015.html

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