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La Chine, à l’assaut des matières premières et de l’Afrique ? (plus Carte géologique)

jan 032014

Cartographie : Stéphane Mac Donald
Texte : Alain Nonjon

Avant même de poser l’existence sur l’échiquier mondial d’une « Chindiafrique », nouveau triangle de croissance et de puissance programmé, il est temps de mesurer comment la Chine fait de l’Afrique un accélérateur de sa domination. Si la Chine, qui se réclame encore du monde en développement (jusqu’en 2050 pour Hu Jintao), se refuse à débattre d’un éventuel « néocolonialisme », peut-elle longtemps différer l’analyse des interrogations, des hostilités nées de sa « nouvelle frontière africaine » ?

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Sur les traces de Zheng He

L’Afrique n’est pas un eldorado qui fait irruption pour la Chine au début du XXIe siècle. Lorsque l’empereur Ming Yongle installe la flotte chinoise au premier rang mondial, c’est notamment pour armer sept expéditions sous l’autorité de l’amiral eunuque Zheng He, dont certaines à destination de l’Afrique orientale. Le but de ces voyages ? Des missions de relations publiques, la mise en place de liens diplomatiques et commerciaux équilibrés et… provisoires, puisque dès 1433, il devient illégal de construire des bateaux et d’avoir l’esprit du « grand large ».
Cet épisode est capital pour les Chinois : il justifie la référence à de « longs siècles d’amitié » et les appels de Hu Jintao aux « frères africains ». C’est donc une redécouverte de l’Afrique depuis 2000, après avoir apporté des soutiens aux luttes anticoloniales (Algérie, Angola, Rhodésie du Sud) ou face aux Russes (Éthiopie). Bardés de certitudes — pas de passif prédateur colonial, pas de rapports centre/ périphérie de domination —, les Chinois peuvent donc se présenter comme un « partenaire au-dessus de tout soupçon », un partenaire de relations Sud/Sud, « win-win », antihégémonique.
Seule exigence chinoise : la marginalisation diplomatique de Taïwan (seuls quatre pays n’ont pas répondu aux pressions, le Burkina Faso, São Tomé et Principe, le Swaziland et la Gambie ; ce dernier pays étant pourtant l’eldorado de Huawei). C’est dans ce contexte que de 1949 à 2009, sur les quelque 33,7 milliards de dollars que la Chine a fourni en aide au développement, la moitié a eu pour destination l’Afrique. Mais plutôt que d’aide, Pékin préfère parler de « coopération gagnant-gagnant ou d’assistance mutuelle ».
Sur la piste des matières premières…

Un tel angélisme ne résiste pas à l’analyse de la realpolitik chinoise en Afrique. Désintéressement ? Jusqu’à un certain point ! Les Chinois multiplient leurs offensives sur les matières premières africaines : pétrole, minerais (30 % des réserves mondiales) et bois brut (la Chine absorbe les deux tiers des grumes du bassin du Congo).
Il suffit d’analyser les pays qui représentent près des deux tiers du commerce sino-africain : l’Afrique du Sud (BRICS depuis 2011), l’Angola, le Nigeria, le Soudan, la République démocratique du Congo, le Niger. Autant d’eldorados miniers ou pétroliers. Mais aussi l’Égypte et l’Algérie, marchés de consommation qui décollent.
Les ressources naturelles représentent à elles seules 80 % des importations de la RPC en provenance du continent africain noir (dont 65 % pour le pétrole), avec pour cadre juridique l’Angola model : la Chine achète des matières premières au moyen d’infrastructures financées par l’Exim Bank chinoise, système qui contribue à attacher dans la durée le pays client aux entreprises et financement chinois.
Une firme comme Wisco vient d’obtenir pour trente ans le droit d’exploiter le fer du gisement malgache de Salala (600 millions de tonnes de réserves).
Première cible, le pétrole africain est le cœur de la stratégie de la CNPC (Chine National Petroleum Corporation), groupe pétrolier chinois influent au Soudan et capable de fournir ses techniques pour l’oléoduc de desserte de Port-Soudan, mais aussi ses soldats pour en préserver la sécurité. La CNPC a même installé son siège à Juba (75 % des réserves pétrolières du Soudan étant en réalité au Sud-Soudan).
La CNOOC (China National Offshore Oil Corporation) lui emboîte le pas en Ouganda dans la zone du lac Albert. Comme hier avec le port de l’Amitié à Nouakchott ou le mythique Tazara (chemin de fer Tanzanie-Zambie inauguré en 1970), la Chine fait du BTP sa monnaie d’échange : stades, infrastructures et, symbole des symboles, la construction du siège de l’Union africaine inauguré à Addis-Abeba en 2012. Les biens de consommation ne sont plus majoritaires dans les exportations chinoises (20 %) et ce sont les biens intermédiaires et les biens d’équipement (respectivement 35 et 36 %) qui les ont remplacés.
Déficitaire avec les exportateurs pétroliers (Angola, Congo, Nigeria), la Chine dégage un excédent grâce à quarante pays africains avec ses tissus (moitié des besoins africains), ses produits « made in China » bon marché, et des produits agricoles !
Sur la voie d’un néocolonialisme ?

Les critiques et les manifestations d’hostilité ouvertes se multiplient. En Zambie, on stigmatise les conditions d’exploitation des travailleurs dans les mines de cuivre ; idem en Afrique du Sud avec l’appétence des Chinois pour des pépites bancaires (la Banque industrielle et commerciale de Chine a acquis 20 % de la Barclays) ; en Algérie, c’est la ghettoïsation d’une main-d’œuvre importée de Chine ; au Sénégal, le flux trop important d’immigrés chinois ; en RDC, la conclusion d’accords pharaoniques (6 milliards de dollars).
Tout ceci est prétexte à la guérilla du M23, à la concurrence déloyale de commerçants chinois avec des dynasties de Libanais ou d’Africains de l’Ouest implantées au Gabon et, accessoirement, à la mauvaise qualité (« t’achètes chinois, t’achètes deux fois » entendu à Djibouti en 2010…).
Quelques chiffres donnent au partenariat chinois une dimension particulière. Désormais, près d’un million de paysans chinois travaillent des terres africaines car la Chine est un acteur, certes mineur, du land grabbing sur le continent. Peut-on ignorer que la diaspora chinoise est évaluée de 2 à 5 millions de Chinois ou que les IDE (Investissements directs à l’étranger) explosent depuis 2000 dans les secteurs pétroliers (6 milliards de dollars en 2011) et extractifs (13 milliards) au rythme des besoins énergétiques chinois (premier importateur mondial) ?
La Chine se situe donc dans un rapport de séduction/domination/prédation qui vise à marginaliser l’Europe donneuse de leçons plus que de crédits. L’opacité des contrats, la difficulté de maîtriser les données salariales effectives (les salaires éthiopiens de Huajian sont 10 % supérieurs à la moyenne nationale mais six fois moins élevés qu’en Chine, soit 1 000 birrs, c’est-à-dire 45 euros, et, surtout, un jour d’absence entraîne un quart du salaire prélevé et une discipline semi-militaire) font de la Chine un partenaire agressif… comme les autres.
Vers une nouvelle frontière de la puissance chinoise ?

La Chine permet indiscutablement aux pays africains de gérer différemment leurs relations post-guerre froide avec les anciennes puissances coloniales. Certains pays comme le Gabon donnent au FOCAC (Forum on China Africa cooperation) une tonalité particulière : celle d’une alternative à la « dépendance dans l’interdépendance » avec les anciennes puissances européennes.
Les gages donnés par la Chine sont nombreux, ne serait-ce que par le peu d’exigence en matière de critères d’attribution de l’aide (même au Gabon surendetté), ou l’absence de toute conditionnalité démocratique (Soudan) ou le rôle accru dans les livraisons d’armes — la Chine est le premier fournisseur d’armes de l’Afrique subsaharienne représentant 25 % du total des importations, devant l’Ukraine.
En échange, le « modèle chinois » peut se diffuser dans toutes ses dimensions : économique (aides aux secteurs de base, aux infrastructures), puissance douce (trente instituts Confucius dans vingt-deux pays africains), aide aux formations dans les universités chinoises.
La Chine peut trouver de nouvelles opportunités dans les délocalisations de ses industries. Difficile de ne pas écouter le président de la banque nigériane parler de « néocolonialisme ». C’est parce que la Chine reste fidèle à la devise de Deng, « prendre son temps et attendre son heure », que l’on peut trouver l’influence chinoise limitée : 3,8 % des IDE en stock, 3 à 4 % des acquisitions de terres par l’étranger, une aide qui ne représente que 6 % de celle apportée par le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques)… Mais la Chine risque d’être la grande gagnante des rivalités des puissances émergentes sur le continent africain et les Africains se demandent s’ils ne seront pas les grands perdants… une nouvelle fois.

Cartographie et textes : tous droits réservés par Groupe Studyrama pour Grenoble Ecole de Management.

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